19 février 2008

Le voyage de Safari



Safari en Kinyarwanda et en Swahili ça signifie Voyage, c'est aussi un prénom et un nom de famille assez répondu au Congo Kinchasa et dans la région du Kivu.

J'ai connu un petit Safari, un bonhomme haut comme 3 pommes qui avait fait un long et pénible voyage, comme des milliers d'autres congolais du Nord Kivu vers le Camp de transit de Nyakabande, modeste refuge chez le voisin Ougandais.
C'était en cette fin d'année 2007, au cours d'évènements bien trop communs dans un conflit qui s'éternise et n'interesse plus personne, même pas cette population victime qui revit tous les ans ces déplacements de survie et de désespoir avec un réel fatalisme.


En réalité, il existe autant d'histoire à raconter que d'individu réfugié et si j'ai choisi celle de Safari, c'est à cause de cet autre voyage qu'évoque si bien son regard rieur, celui d'un coup de foudre inattendu (cette erreur du débutant comme ils disent) entre un expat un peu trop sensible et un enfant un peu trop attachant.
Safari est né il y a 7 ans environ d'un papa congolais et d'une maman ougandaise, si bien qu'il bafouille avec aplomb un mélange approximatif de mots français, anglais et kinyarwandais sa langue maternelle. Les "Bonjour, comment ça va" dans un accent inimitable il les tient de son père et les "May i go with you" de sa mère.


Dès les premiers jours dans le camp, il était là parmi cette troupe d'enfants désoeuvrés et un peu désorientés, à roder autour de la clinique, à chercher le contact, toujours prêt à faire une bêtise, une blague ou un sourire, à m'interpeler d'un "Mzungu" amical et interrogateur.

Mzungu c'est le mot pour désigner "le blanc" dans le langage courant, littéralement cela signifie "celui qui prend la place", héritage de l'époque définitivement négative de la colonisation de l'Afrique noire.
Safari était reconnaissable entre 1000. il se baladait toujours avec ce même short déchiré et deux vestes de costume d'adulte, une de couleur noire superposée sur une autre de couleur rose, carapace de fortune contre le froid nocturne des montagnes embrumées des Virunga.
Safari c'est un pti malin, grugeant 1000 fois les gardiens de la clinique pour s'introduire en douce et nous espionner de près ou de loin, curieux et un peu peureux jusqu'au jour où je lui fis un pansement pour une petite plaie au pied, après quoi il ne m'a plus quitté.

Toujours dans mes pattes, jaloux par moment quand je m'intéressais trop au autres enfants, fier au contraire quand il était le seul à pouvoir entrer librement dans la clinique, usant de son statut de chouchou puis de mascotte de toute l'équipe.


Avec ma collègue on a commencé par le re-looker, un ou deux t-shirt neufs, un gilet un nouveau short et un pantalon; ensuite on lui a acheté du colgate et une brosse à dent (c'était pas du luxe!) ainsi qu'à sa soeur Bahati (Chance), il y a eu les séances de jeu interminables et les séances photo, le stylo et le cahier sur lequel je m'échinais à lui apprendre l'alphabet et à compter jusqu'à 10 en français. Puis, Safari m'aidant à fabriquer des bonnets avec des bandes jersey pour les enfants et les bébés. Il s'était transformé en petit assistant, il avait compris comment tout fonctionnait et il était fier quand on lui confiait une petite tâche à réaliser.

Je me souviens de Safari boudeur, rieur, joueur ou simplement de Safari s'endormant sur un banc ou sur une chaise jamais très loin de moi, finalement épuisé à force de courir partout sous la pluie ou au soleil. Je me souviens de tous ses gestes, de toutes ses expressions de langage et de visage, je me souviens de ses colères, de ses fous rires, de ses larmes et de ces moments où il avait juste besoin qu'on le prenne dans nos bras. Je me souviens de lui tout plein de gène quand Mélanie lui apprit à faire des bisous, elle était un peu, je crois, son premier amour d'enfant.

Son père quand on le croisait voulait absolument qu'on l'emmène au Canada??? Sa mère nous remerciait sans fin à chaque entrevue et finit par nous offrir 10 oeufs pour nous remercier, elle les avait ramené en catimini après un de ses aller-retours risqué au Congo, cadeau inestimable pour là bas.


Enfin, lorsque la fin de l'aventure s'annonça et que chaque soir Safari nous regardait partir en boudant puis en pleurant, lorsque le HCR commença à transférer les réfugiés en masse par grand convoi de bus et que nous n'étions pas sûr de le retrouver le matin, j'ai commencé à avoir mal au bide et j'ai compris pourquoi on me mettait en garde contre ce genre d'attachement.

La fin, la séparation est difficile à raconter et encore chargée d'émotion alors je m'abstiendrai... le souvenir lui est toujours aussi vivace et si je raconte encore cette histoire c'est parce que ce fut un beau voyage, un court épisode dans une vie, un beau souvenir pour lui comme pour moi que je ne regrette pas et qui nous a rendu plus fort.
Aujourd'hui il m'arrive de croiser des papas amoureux de leurs enfants innocents comme l'autre jour dans ce parc parisien ce père jouant au foot avec son fils.... à chaque fois je ne peux réprimer un sourire et mon esprit s'évade très loin, là bas, je pense à lui et j'espère qu'il va bien.


Au delà de Safari, il y a des choses que je ne raconte pas, ou peu aux gens qui m'entourent tous les jours et qui me demandent "comment c'était l'Afrique", "c'était où déjà?", "c'était bien?".
Oui, c'était bien, comment dire, restons en là, c'était très bien. C'était plus que ça mais comment le transmettre réellement, comment entrer dans les détails, comment coller à la réalité d'un moment si dramatique et si plein de vie et d'espoir. L'expérience humaine que j'ai vécu là-bas fut la plus intense et la plus vraie de toute ma courte vie, à la fois insensée et pleine de sens justement. Rien d'extraordinaire dans les faits, seulement un vécu riche.

Alors le plus facile ce sont ces petites histoires, celle de Safari, celle de notre petite Zabayo disparue malgré nos soins, celle de cette équipe d'infirmier(e)s congolais(es) que j'ai défendu corps et âmes et qui me l'a rendu 1000 fois, celle de ce bébé que j'ai ramené de la maternité et qui porte maintenant mon prénom quelque part au Congo, tout un symbole puisqu'il est né d'un père Hutu et d'une mère Tutsi.


Ce sont les chants, les couleurs et les sourires, ce sont quelques photos et l'envie parfois impérieuse d'y retourner et de tous les retrouver et peut-être de leur dire combien ils m'ont rendu meilleur et heureux, chose que je n'ai pas su faire au moment de nos adieux quand eux-même me faisaient le plus beau discours de remerciement et la plus belle preuve d'amour de ma vie.

"De tous les évènements qui surgissent dans notre vie, les guerres sont les plus importants, même si la plupart semblent s'être éloignées de notre univers quotidien et qu'elles semblent avoir été rejetées sur une scène de spectacle. Je ne connais pas la raison de leur importance, je suppose qu'elles soulignent une rupture entre ce qui nous attend aujourd'hui et demain. Sans doute aussi qu'elles illustrent la puissance de la violence humaine contre l'humain, ou ses effets pervers sur les idées du moment. Peut-être que leur dynamique imprévisible et incompréhensible nous dépasse. Je ne suis pas assez intelligent pour comprendre comment chaque guerre et surtout le chaos qui s'ensuit vont bousculer notre manière d'être et de penser. D'ailleurs je m'en fous. Moi, je rencontre les gens qui font l'évènement là-bas, ou plutôt une multitude d'évènements; je les lie entre eux un peu par hazard en les racontant. C'est ma manière de vivre et d'écrire, la seule chose que je sache faire avec plaisir. Ce que j'écris, à d'autres de s'en dépatouiller."

"La guerre peut-elle donner un sens à une vie qui n'en avait pas?"

Jean Hatzfeld, La ligne de flottaison.

6 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Tout commentaire serait superflu, mais puisque je suis quelqu'un de superficiel... La citation de Hatzfeld est plutôt bien choisie.
Je persiste à dire que la réunion de ces carnets de voyages par leur sensibilité et leur qualité de rédaction (avec parfois des correction à apporter ou à retravailler) mériterait une publication. Bien sûr parfois, on reste un peu sur sa faim et le/les récit(s) mériterait un peu plus de développement : le donner à voir et à entendre. Mais c'est mon côté journaliste qui l'emporte dans cas.

10:02  
Anonymous Anonyme said...

Beau texte, en effet.

J'aime, en particulier, l'émotion contenue dans le passage "Je me souviens de Safari boudeur... son premier amour d'enfant".

08:45  
Anonymous Anonyme said...

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12:09  
Anonymous Anonyme said...

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07:26  
Anonymous Anonyme said...

je reprends mon souffle... j'ai oublié de respirer en lisant cet article. merci.

21:34  
Anonymous Anonyme said...

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14:23  

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